Bruno Nalletamby | Project Lead & Marine Specialist

À Maurice, le récent naufrage du Wakashio ainsi que la pandémie de la Covid 19 ont déclenché une grande prise de conscience nationale autour du transport maritime. Bruno Nalletamby, l’un des rares spécialistes
en assurance maritime dans l’Océan Indien, est employé chez Swan General Ltd. Il lève le voile sur les spécificités de cette profession qui requiert autant des connaissances techniques que la maitrise du droit international.

Bruno Nalletamby, pouvez-vous nous définir ce qu’est l’Assurance Maritime ?

L’assurance maritime est le précurseur de toutes les assurances. C’est la première forme d’assurance qui est apparue. Elle recouvre trois secteurs. Il y a l’assurance transport (cargo) et tout ce qui se rapporte à la marchandise, quel que soit son mode d’acheminement. Puis, il y a l’assurance des bateaux de différentes tailles, qu’il s’agisse du porte-conteneur ou du bateau de plaisance.

Et finalement il y a les couvertures de responsabilité civile légale ou Liability. Toute compensation de l’autorité portuaire découlant du/ des dommages causés dans l’enceinte portuaire à un tiers (navire ou autre) pourrait être couverte par une assurance de responsabilité civile, suivant les termes du contrat.

Il y a des assurances de responsabilité civile couvrant les dommages causés par les Stevedores (débardeurs). Il y a aussi la responsabilité civile des navires de haute mer qui est couverte par les P & I clubs. C’est cet ensemble de couvertures qui tombe sous la coupe de la “Marine liability” en général.

À Maurice, nous sommes plutôt concernés par l’assurance transport. Nous avons les lois pour enregistrer et avoir des bateaux sous pavillon mauricien et être assurés à Maurice,mais il y en a très peu.

Si nous remontons le fil de l’Histoire, nous pouvons retracer les premiers contrats d’Assurance Maritime au 14ème siècle, plus précisément en 1343 ou 1347 à Gênes en Italie. Ce sont les banquiers italiens qui garantissaient l’armateur qui partait acheter de la marchandise. Si le bateau coulait, les banques allait assumer la perte.

Ensuite, l’activité s’est déplacée à Londres- qui était devenue le centre du monde de l’époque. Les banquiers italiens venant de Lombardie, rejoindront l’Angleterre, et s’installeront dans une rue, qui existe toujours, et qui est connue comme un centre financier dans la City, ‘Lombard Street’. L’assurance maritime se développera au fil des siècles et d’autres types d’assurances verront éventuellement le jour. Mais les premiers grands principes d’assurance émergent de l’assurance maritime.

Ces grands principes d’assurance seront ainsi codifiés dans une loi- cadre en Angleterre en 1906, le Marine Insurance Act (MIA 1906) qui est d’ailleurs souvent connu comme l’Insurance Act.

À Maurice, l’assurance maritime est essentiellement régie par le Code de commerce qui permet, sauf pour certaines sections ‘ d’ordre publiques’, de souscrire des assurances sous d’autre lois que celle de Maurice. Pratiquement tous les contrats d’assurances Transport (Cargo) émis à Maurice aujourd’hui sont basés sur les lois anglaises. (Sauf pour certaines sections communes à tous types d ’assurances qui sont régies par les lois mauriciennes)

En quoi l’assurance transport est-elle une composante essentielle du commerce international ?

L’assurance transport concerne toute marchandise qui est acheminée, qu’elle soit par avion, bateau, camion, train ou tout autre moyen de transport. On se réfère toujours à l’assurance maritime du fait que c’est par la mer et les bateaux que cela a commencé au départ, mais aujourd’hui cela concerne tout type de transport.

Dans le commerce mondial vous avez deux facettes : l’importation, qui concerne l’achat de marchandises sortant d’ailleurs pour venir à Maurice et l’exportation qui concerne la vente de marchandises de Maurice vers l’extérieur.

Vous avez principalement deux parties dans la transaction d’import ou d’export : l’acheteur et le vendeur. Chacune des deux parties peut contracter une assurance pour le voyage. Pour une marchandise qui sort de Chine pour venir à Maurice par exemple, l’assureur peut être en Chine ou à Maurice (ou d’un autre pays d’ailleurs, mais nous n’allons pas compliquer davantage les choses).

Traditionnellement les acheteurs et/ ou les vendeurs préféraient prendre leurs assurances dans les pays dits développés du fait de manque de compétence dans ce secteur d’assurance. En Afrique, si on considère les régions de l’Est et du Sud, il y a principalement deux pays qui ont développé des compétences en Assurance Maritime : l’Afrique du Sud et l’Ile Maurice. D’ailleurs, ayant eu l’occasion de visiter certains pays d’Afrique, il est indéniable que Maurice est considéré comme l’un des pays les plus développés en matière d’assurance en Afrique.

Dans les années 80, il y a eu des tentatives (surtout de certains du secteur privé) pour que les autorités d’alors imposent que l’assurance transport au niveau de l’import se fasse localement. Aujourd’hui dans quasiment tout pays d’Afrique, on a légiféré en ce sens. Le Ministre des Finances d’alors, Mr Vishnu Lutchmeenaraidoo prônait la libéralisation du commerce et s’était opposé à cette imposition. Et il a eu raison. Cela a fait que les acteurs du privé ont dû se battre contre les assureurs étrangers et nous avons réussi à trouver notre place. Aujourd’hui nous assurons beaucoup plus les importations à Maurice qu’à l’étranger.

L’assurance maritime est-il un marché niche ?

Au niveau mondial, l’assurance maritime représente toujours entre 2% et 5% de toutes les primes générées par les assurances. Il est toujours considéré comme un marché niche vu le peu de compétences dans ce domaine mondialement.

A Maurice, la Mauritian Éagle Insurance (aujourd’hui Eagle Insurance) qui a commencé à opérer en 1974, a été la première à offrir des services d’assurances maritimes du fait qu’elle était une subsidiaire d’Ireland Blyth Ltd qui était très impliqué au niveau commerce , ainsi que la logistique du ‘Shipping’. Le premier General Manager d’alors, Guy Leroux, est un spécialiste maritime, donc il s’est beaucoup battu pour faire développer l’assurance maritime. Il avait créé un département maritime.

Avec plus de 160 ans d’existence, la Swan (aujourd’hui La Swan General Ltd), a créé le département maritime sous l’égide de M. Gilles Herbereau de la Chaise en 1976. J’ai rejoint le département en 1986 et été nommé Manager en 2005. Et depuis décembre 2019, j’ai passé la main à ma collègue, Mme Mylene Henry qui compte plus de 25 ans dans le secteur Maritime. Et, je me consacre au développement et l’implémentation des projets dans les différents départements du secteur Corporatif (incluant la maritime bien sûr !).

Et, jusqu’à ce jour il n’y a que la Swan et l’Eagle qui ont des départements maritimes et des compétences qui y sont rattachées.

D’autres assureurs s’aventurent un peu dans le domaine mais n’ont pas de département spécialisé. Cependant, maintenant nous observons l’arrivée de grosses pointures internationales dans le paysage Mauricien. Par ailleurs, il y a trois ou quatre courtiers d’assurances qui ont une bonne maitrise de l’assurance maritime.

Qu’est ce qui explique ce désintéressement pour la spécialité d’assureur maritime ?

C’est un phénomène mondial et dépasse le cadre de l’assurance. Avec 35 ans d’expérience, j’ai vu beaucoup de mes confrères (à Maurice ou ailleurs, surtout en Angleterre) prendre leur retraite et il y a aujourd’hui un ‘gap’ qui fait qu’il n’y a pas beaucoup de professionnels avec plus de 15 ans de métier. Si on observe le marché de l’emploi mauricien a ce niveau, il n’y a que deux sociétés qui ont un département dédié a ce métier. Ce métier n’est malheureusement pas suffisamment valorisé.

Mais si nous cherchons des Marine Engineers, des Marine Surveyors ou des Architectes Naval, ou même des gens dans la marine marchande, nous rencontrons le même problème également. Cela attire bien moins que l’aviation par exemple.

Ayant participé à plusieurs conférences régionales en Afrique (Ouest, Est ou Sud) dont certaines avec plus de 1200 déléguées, j’ai pu réaliser que j’étais un des rares délégués avec une spécialité maritime. Au niveau des filières éducatives ou des métiers, dès qu’on parle de commerce international, nous trouvons très peu de compétences.

Déjà, pour être marine engineer, il faut aller sur un bateau et avoir l’expérience. Il faut, comme un pilote, apprendre le métier pendant des années. Est-ce que quelqu’un est disposé à passer 10 années de vie sur un bateau avant d’avoir un avancement par exemple ? Un Marine Surveyor de l’Afrique du Sud me faisait remarquer, il y a quelques années de cela, que le plus “jeune” ingénieur maritime qu’il connaissait avait 68 ans et que le plus vieux venait de prendre sa retraite à 82 ans.

1 2

Comments are closed.

Newsletter

Subscribe Now! We’ll make sure you never miss a thing

This will close in 10 seconds