Commandant Yves Goilot

Héritier d’une tradition navale familiale remontant à plusieurs générations et formé comme Master Mariner au prestigieux Warsash Maritime Academy, Commandant Yves Goilot est un passionné des affaires portuaires. Du rivage de Baie du Tombeau, il contemple, depuis sa tendre enfance, ce port qu’est Port-Louis et qui n’a cessé de se transformer pour mieux accueillir son incessant défilé de navires et de porte-conteneurs.

Commandant Goilot, parlez-nous de votre passion pour la mer. D’où vous vient-elle ?

Je viens d’une famille mauricienne qui a marquée l’histoire du sud-ouest de l’océan Indien. Mon aïeul Evelinor Nicolin détenait le brevet « Master Mariner Sail » obtenu à Bombay en 1865. Il était propriétaire de son navire et faisait du commerce entre Maurice et les îles. Ses fils Robert Nicolin et Albert étaient aussi des capitaines.

Robert Nicolin eut une carrière mouvementée. Il fit naufrage sur la côte Est de Madagascar et fut porté disparu pendant plusieurs mois. À son retour à Maurice, il reprit la mer mais termina sa carrière quand son bateau fut coupé en deux lors d’une collision à la Réunion.

Albert Nicolin, né à Peros Banhos le 4 juillet 1868 commença sa carrière à bord des cargos de la British India Steam Navigation Company et navigua internationalement. Il fit un malheureux naufrage au Chagos et sa première épouse s’y noya. Il commanda par la suite le Zambezia jusqu’à son émigration à Durban. Et l’un de ses petits-fils suivit ses traces en se joignant à la Marine SA (Afrique du Sud).

Après une intérruption sur une génération, c’est le Commandant Cyril Nicolin qui reprit le flambeau familial dans la marine Marchande mauricienne. Après ses années de formation sur le Zambezia, Carabao et Floréal, il entreprit de superviser la construction du premier Mauritius en Allemagne. Il le ramena à Maurice. Et ce super petit caboteur entreprit une longue carrière au service de la marine marchande mauricienne et contribua à la formation de nos nombreux navigants mauriciens.

Commandant Nicolin décidera plus tard de devenir pilote à Port Louis avant d’être le Port Master. Il terminera sa carrière comme directeur général de la Mauritius Marine Authority, nouvelle entité crée pour piloter le développement portuaire. C’est son passage au port qui nourrira mon amour pour la mer, car je l’accompagnais de temps en temps sur les remorqueurs, dès l’aube pour aider les navires à s’amarrer sur les coffres. Je fus suivi dans ce choix par mon frère cadet, Jacques et un de mes neveux, Fréderic.

Vous habitez à Baie du Tombeau, endroit chargé d’Histoire et indissociable de la vie du port. Parlez-nous de l’évolution que vous avez pu y constater en lien avec le développement du port.

J’habite Baie-du-Tombeau et ma famille est associée à la région de Fort Albert depuis 1947. J’y séjourne donc depuis mon plus jeune âge. Je pêchai au crabe dans l’estuaire de Mer Rouge et j’ai assisté au développement, nécessaire de cette région : le dragage, la construction des quais et des entrepôts entre autres. D’ailleurs mon oncle a publié un document intitulé Dredging for the Birds, une plaidoirie pour préserver l’environnement de cet estuaire, lieu de transit de nombreux oiseaux migrateurs.

Pouvez-vous nous brosser un tableau de votre parcours professionnel ?

Après des études secondaires au collège du St Esprit, j’ai eu la chance de commencer une formation au Warsash Maritime Academy. C’est une école navale formant partie de l’université de Southampton. Ensuite j’ai embarqué comme élève-officier dans une compagnie Anglaise, la British & Commonwealth Shipping Company, qui desservait en plus l’île Maurice.

Après l’obtention de mon brevet de Commandant au long cours « Master Mariner FG, », j’ai ressenti l’appel du pays. Cela, d’autant plus que la Marine Marchande Mauricienne s’était embarquée sur un développement important : affrètement, cabotage, feeder à l’échelle mondiale. Cette activité ne durera malheureusement qu’une trentaine d’année. Je suis donc revenu au pays pour prendre le commandement de plusieurs navires battant pavillon mauricien. Formidable époque qui me permit de découvrir les îles de l’océan Indien, les grands lacs Canadiens, la Baltique, le canal de Suez et celui du Panama, le Pacifique et nombreux pays riverains.

En 1980, le port était en passe de continuer sa modernisation et les quais en eau profonde allaient entrer en opération. Ma compagnie m’a secondé pour aller épauler un groupe de consultant Britannique, Scruttons, responsable de mettre en opération de nouvelles normes de manutention.

J’ai continué cette aventure malgré une complète remise en question de mon statut de commandant à bord et d’avoir des décisions constamment remises en question.

C’était l’époque où le débat sur la décision, de nationaliser le port faisait rage. Il fallait honorer l’expédition des contrats de sucres, la mise en opération du terminal sucrier, et les licenciements inévitables ont déstabilisé les opérations pendant des mois. Las de cette situation, je ne me voyais pas continuer cette aventure et j’eus l’opportunité de m’essayer au marketing et de faire du frêt commercial et finalement de prendre la direction du dépôt de conteneur privé.

Quelles sont, pour vous, les grandes valeurs de ce métier et quels sont les moments clés où ces valeurs sont les plus sollicitées ?

C’est une fonction de commandement et de direction, donc un poste de hautes responsabilités où un grand sens de la discipline est primordial. Il faut être disponible et avoir un esprit ouvert. Et le fait de passer de long mois loin de son domicile, nécessite qu’on ait un grand sens de l’adaptation. Ces valeurs sont les plus sollicitées en temps de crise. Par exemple par mauvais temps, face à des actes de pirateries, en cas d’échouage ou encore lorsque surviennent des situations reliées au trafic de drogue ou autres cargaisons illicites.

Comment un commandant conjugue-t-il travail et vie familiale ?

Mon expérience dans ce domaine est assez limitée ayant navigué en tant que célibataire et non confronté à des problèmes matrimoniaux. À mon époque, on embarquait pour des contrats allant jusqu’à deux ans. Il y avait très peu de moyens de communication et je me souviens que, durant ma carrière, je n’ai téléphoné à ma famille qu’une seule fois. Aujourd’hui les marins sont suspendus à leurs portables et font de contrats de quatre à neuf mois dépendant de leur grade. J’ai ici une pensée spéciale pour certains membres de l’équipage du Wakashio, des pères de famille déjà éloignés de leur famille depuis des mois et qui n’ont aucune responsabilité dans l’échouage. Ils sont encore en résidence après bientôt huit mois. Après un sérieux debriefing, pourquoi ne pas les avoir rapatriés ?

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3 Comments

  1. H.C. Ghurburrun

    Une interview survol qui,évidemment,ne nous fait pas revivre les grands moments de notre port.Je note surtout le cri du coeur du commandant pour les marins du Wakasio qui, 8 mois après le naufrage, sont toujours en détention alors quíls n’étaient nullement impliqués dans ce drame.Yves Goilot est homme de mer et il peut prendre la mesure de l’éloignement de toute personne de son milieu famillial.

    • Port Louis Digest

      Merci pour l’intérêt que vous portez à Port Louis Digest.
      Les invités de Port Louis Digest sont des experts de leur domaine. À l’occasion de futures éditions, des historiens seront amenés à livrer des éclairages sur l’Histoire et le développement du port.

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