Afzal Delbar, vous êtes un orateur international et un homme de réseaux par la nature même de votre métier. Quelles sont les projets qui vous tiennent à cœur dans les instances dans lesquelles vous intervenez ?

Effectivement, être courtier en douane agréé permet d’acquérir une vaste connaissance sur les produits et leurs origines ainsi que leurs prix d’origine et les prix de revient. Silverline Services est présente dans 23 pays et nous offrons des services de guichet unique dans le Logistics Supply Chain.

De ce fait, ce n’est pas rare que je sois contacté pour conseiller des clients de longue date sur les marchés internationaux quand ils cherchent à s’approvisionner sur un produit spécifique.

Pour en revenir aux réseaux, alors que la dématérialisation aurait pu être vu comme une perte en termes de contacts humains par l’ancienne génération, finalement avec les outils de communication modernes, bien au contraire, nous pouvons très facilement connecter les entreprises et personnes pour faciliter les affaires et les oeuvres sociales

Par ailleurs, j’ai effectivement un rôle actif dans plusieurs instances.Je préside notamment la Customs House Brokers Association (CHBA) ce qui permet de contribuer au développement et à la modernisation du métier et être force de proposition en matière d’évolution du cadre réglementaire. Actuellement, je suis pleinement impliqué dans la réforme des douanes notamment le volet ‘ Ease of Doing’ Business pour assurer que Port Louis maintienne son avantage concurrentiel.

Ensuite, en tant que directeur et membre du conseil d’administration de la Mauritius Cargo Community Services Ltd (MACCS) un projet qui me tient particulièrement à cœur est la mise en œuvre du Cargo Community System (CCS). C’est, une plateforme informatique qui permet, entre autre de gérer et de sécuriser la circulation des marchandises en temps réel.

Au niveau de la région, j’officie comme membre élu du comité exécutif de la SADC Federation of Clearing and Forwarding Agents Association (FCFASA), dont j’ai assuré la présidence de 2016 à 2020. Finalement, en tant que secrétaire général de la Freeport Operators Association, je joue pleinement le rôle de promotion de l’île Maurice en tant que hub régional afin de stimuler les activités portuaires et d’inciter les investisseurs étrangers à déplacer leurs opérations à Port Louis.

Donc, effectivement, ce métier est des plus passionnants car il ne cesse d’évoluer à plusieurs niveaux. Être connecté à ce faisceau d’organisations professionnelles et institutionnelles permet de participer à l’amélioration des conditions dans lesquelles se déroulent les opérations.

Vous mentionnez votre implication au niveau de la région. Maurice est reconnue comme signataire de nombreux accords, ce qui lui procure des avantages.

Maurice est l’un des rare pays au monde à avoir fait l’effort d’être signataire de tant d’accords et d’être présent dans tous les clubs d’accords bilatéraux et multilatéraux. On retrouve régulièrement Maurice comme membre fondateur ou parmi les premiers à avoir signé et ratifié des accords. D’ailleurs c’est pour cela que je conseille toujours à mes clients de ne pas considérer le pays juste comme un port de transbordement, mais de venir s’y installer et opérer d’ici. Car il y a réels bénéfices à faire des transactions d’ici. Maurice octroi une chance inouïe de pouvoir accéder au marché de l’océan Indien, comme Madagascar ou les pays de la SADC et du COMESA sur le continent africain mais aussi le marché américain grâce a l’AGOA et le marché européen et asiatique.

Toutefois, une réflexion stratégique fait défaut au niveau local et au niveau des investisseurs potentiels pour savoir tirer parti des avantages de ces accords. Notre faiblesse est notre isolement du continent. Nous ne pouvons faire les affaires au niveau international que grâce à l’aviation et la navigation. Pour que nos entrepreneurs puissent réellement tirer avantage de ces accords, notre port et notre aéroport doivent accueillir plus de transporteurs. Cela nous permettrait de faire des économies d’échelle. Même si nous sommes un petit pays, le potentiel de faire des affaires est encore possible.

La presse africaine accuse parfois Maurice de trop capter des marchés et des profits. Or, le pays semble toujours vivre sous l’épée de Damoclès des réglementations internationales du GAFI ou de l’OCDE.

Les pays qui critiquent Maurice sont libres d’être signataires de mêmes types d’accords et de demander à adhérer à ces clubs d’accords commerciaux. Il n’y a pas de meilleure façon de faire de la concurrence saine que de se positionner ainsi. Toutefois être signataire d’accords engage à rendre des comptes et d’être soumis à des contraintes et conditions.

Il y a des supervisions et des rapports réguliers des organismes et institutions. Cela a pour conséquence de faire de Maurice un pays “sur-réglementé”. Le risque de la sur-réglementation est double : ‘kill the business’, celui d’asphyxier l’entrepreneuriat et ‘create opportunities for corruption’, faire foisonner la corruption pour passer outre les réglementations trop limitatives.

En ce moment, avec la pandémie, de nouvelles réflexions émergent. Si nous devons faire le commerce avec l’Afrique, peut-on et doit-on le faire en ayant appris les règles du business sur les bancs des écoles de commerce européennes ? L’Afrique a sa propre culture des affaires et nous constatons que de nombreuses aventures d’investissement se terminent par des échecs. Cela parcequ’on nous a imposé une culture des affaires à l’européenne. Trop de contraintes qui sont mal adaptées deviennent des barrières que l’entrepreneur ne peut pas traverser surtout que l’entrepreneur Mauricien, est malgré lui, isolé du continent africain.

Poussons la meme réflexion plus loin. Malgré les listes grises et listes noires établies pour protéger les pays contre le blanchiment d’argent, le terrorisme et le trafic des armes, est-ce que nous constatons des améliorations notables depuis ces dernières décennies ? Ce que nous aurions du voire progresser, c’est l’entrepreneuriat, l’échange de produits et services dans d’excellentes conditions et des tarifs avantageux permettant de nourrir et vêtir les populations et améliorer leurs conditions de vie. Or, il ne se passe quasiment pas une semaine sans des nouvelles de prises spectaculaires de cargaisons de drogue et autre produits illicites. Si le trafic de drogue et le terrorisme continuent à progresser et à être financés, il y a une sérieuse remise en question à faire au niveau international. Car les réglementations doivent être le terreau permettant les entreprises à grandir et desservir les populations locales et internationales, non l’inverse, c’est à dire des tracasseries administratives et des contraintes qui tuent le Business.

À travers les produits importés, percevez-vous une évolution dans la demande locale ?

Les produits de première nécessité ne changent pas fondamentalement. On note l’arrivée de machines industrielles, ce qui indique l’envie d’entreprendre et de produire localement. Par contre, le marketing est très agressif à Maurice et on peut en constater l’effet à travers la demande de produits non- essentiels. Les Mauriciens sont de très gros consommateurs de portables dernier cri, de produits électroménagers dernière génération ou encore des derniers modèles de téléviseurs.

Quelle position occupe Maurice par rapport aux autres ports de la région ?

We are no more in the driving seat! Nous ne sommes plus aux commandes. La devise de Maurice est que l’ile est la clé et l’étoile de l’océan Indien. Or malgré notre positionnement stratégique, il y a de la concurrence en face. Le port de Madagascar est extrêmement développé désormais. Le port de la Réunion est superbement équipé. Il y a des ports dans l’Afrique de l’Est comme le port de Beira au Mozambique et le port de Dar- Es-Salaam en Tanzanie. En Asie, il y a Colombo au Sri Lanka. Nous sommes dans une situation de
Cut throat competition”.

D’ailleurs le récent blocage au Canal de Suez a provoqué des réactions de panique disproportionnées face à l’impact réel pour Maurice. Il faut savoir que la majeure partie de nos marchandises ne passe pas par le Canal de Suez. Nos fournisseurs de l’Inde, de la Chine et de l’Asie du Sud-Est nous livrent en traversant directement l’océan.

Par contre, notre port aurait pu envoyer un signal fort pour capter les navires, qui sont redirigés le long de la côte Africaine et les attirer vers Maurice plutôt que le Cape of Good Hope. Car Port-Louis reste malgré tout un port stratégique avec une grande baie pouvant accueillir des bateaux militaires et des navires de marchandises.

Toutefois, il faut bien réaliser que les armateurs analysent le service et le coût qui est offert par chaque port. Un navire n’est pas fait pour s’éterniser dans un port. Il doit passer un minimum de temps dans un port et il doit continuer à naviguer. Le port qui ne satisfait pas ces conditions est facilement remplacé par un autre de nos jours. Car les navires sont des gros porteurs beaucoup plus sophistiqués qu’auparavant et qui cherchent à emprunter les routes les plus rapides pour livrer et embarquer les cargaisons.

Il y a une plus grande coordination avec le transport multimodal sur les continents. Du port, les cargaisons sont acheminées par voie aérienne, par transports routiers ou par chemin de fer et le temps est un facteur de coût important. Car le plus longtemps on met à débarquer un bateau, le plus cher cela revient sur toute la chaine d’approvisionnement et de distribution. Donc, gérer la compétitivité d’un port requiert une grande capacité de réflexion stratégique et comprendre l’envergure de cette responsabilité. Pour siéger au niveau des instances décisionnelles, une réelle compétence dans ce domaine est requise.

Et Maurice, il faut le souligner, a les meilleurs équipements de la région comparé à ses compétiteurs.

L’Etat a investi dans les meilleurs outils sur le marché pour équiper le port. Toutefois c’est l’efficience qui doit être améliorée. Le port de Colombo débarque 35 conteneurs par heure tout en ayant des équipements plus vétustes que ceux dont dispose Maurice. Maurice se doit donc d’avoir la même efficience, voir faire mieux et se démarquer dans la région.

Afzal Delbar quels ingrédients sont nécessaires pour que les affaires en général fonctionnent de manière optimale ?

Pour évoluer dans le futur, pour se libérer des contraintes bureaucratiques et booster l’efficience du port, il faut un changement d’état d’esprit. Les institutions doivent avoir la capacité d’innover, de think out of the box. Tout, domaines confondus, il faut appliquer la politique de “the right man in the right place“.

Le risque de la sur-réglementation est double : ‘kill the business’, celui d’asphyxier l’entrepreneuriat et ‘create opportunities for corruption

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