Afzal Delbar | Courtier En Douane & Serial-Entrepreneur Visionnaire

Doté d’un véritable flair pour les affaires, Afzal Delbar est un pionnier dans le domaine du courtage en douane. Apprécié par les professionnels du port pour la justesse de ses analyses et son légendaire franc-parler, l’actuel Président de la Customs House Brokers Association (CHBA)a su contribuer à la modernisation salutaire du secteur. Formateur, il intervient également dans des instances de la région Afrique sub- saharienne.

Afzal Delbar, vous êtes un spécialiste en courtage de douanes, à la tête d’une agence de transitaire international ainsi qu’un formateur. Comment s’est construit votre parcours professionnel ?

J’ai démarré dans le domaine du Custom Brokerage complètement par hasard. À la fin de mes études secondaires en 1983, c’était une époque où le chômage battait son plein à Maurice et j’ai rejoint une entreprise de frêt. J’ai travaillé dans le département du Custom Brokerage pour faire les déclarations en douane. C’était un temps où on utilisait toujours une machine à écrire avec six longs papiers doublés de papier carbone. J’ai eu la chance de rejoindre ce secteur à un moment où le secteur prenait son essor, en pleine mutation.

Et, je peux dire que le courtage n’a pas cessé d’évoluer. Au fil des années, j’ai connu les procédés manuels, les processus semi- informatisés et, finalement j’ai eu la chance d’être partie prenante de la réflexion sur la réforme douanière. C’était une reforme clé car nous avons revu en profondeur tout le processus de contrôle marchandises jusqu’à ce qu’elles franchissent les barrières douanières à l’entrée comme à la sortie.

J’ai été nommé courtier en douane en 1997 et je devais alors certainement être l’un des plus jeunes Customs House Broker de l’époque. Mes collègues me surnommaient affectueusement “’Ti Frère”. C’était un métier avec une culture distincte et j’ai beaucoup appris de mes aînés qui avaient de grandes qualités ainsi qu’une longue expérience dans le domaine.

Je voyais toujours les importateurs courir d’une administration à l’autre munis de leur attaché case. Cela leur prenait beaucoup de temps, d’aller voir le freight forwarder (transitaire), puis le Custom Broker, faire leurs demandes, retirer leurs permis, se rendre à la Banque Centrale pour faire leurs transferts, et ensuite aller voir les transporteurs.

Et là, j’ai vu un créneau que j’ai su saisir. Celui de proposer un service individuel aux importateurs : le premier One-Stop-Shop dans le Logistics Supply Chain. Ce que je proposais aux opérateurs, importateurs ou exportateurs, c’était de prendre en charge toutes ces démarches administratives à leur place. Ainsi, eux pouvaient se concentrer sur leur cœur de métier. C’est sur la base de ce service unique en son genre à l’époque, que j’ai créé Silver Line Services Ltd.

Un pionnier a rarement la tâche facile. Qu’elle conviction vous animait en adoptant ?

Je vais répondre à cette question en vous donnant la définition de ce qu’est un entrepreneur. C’est une définition que j’avais partagée lors d’une formation à Rodrigues et qui s’applique à tous les secteurs. Un entrepreneur est quelqu’un qui crée un service ou un produit qui facilite la vie des gens et leur procure du bonheur et paix d’esprit. Quand les chefs d’entreprises se plaignent qu’ils ont du mal à trouver de la clientèle, je leur pose la question : “Ce que vous proposez rend-t-il service au client ? Le rend-t-il heureux et lui procure-t-il un quelconque soulagement dans sa vie quotidienne ? Si ce n’est pas le cas, il faut savoir changer et s’adapter aux nouveaux besoins et demandes de la clientèle.

C’est cette pensée qui m’animait : rendre service aux importateurs. Ce One-Stop-Shop permettait aux clients de gagner un avantage en termes de temps inestimable. C’est cela le Business Process Outsourcing. Mais évidemment le changement ou l’innovation né convainc pas immédiatement. Il faut savoir démontrer au client quel est son gain individuel, quel est son intérêt à changer.

En appliquant ce principe, j’ai crée plusieurs entreprises dans le port franc et dans des domaines aussi variés que le développement immobilier, l’agriculture et la logistique. Sept entreprises fonctionnent très bien. Quelques- unes n’ont pas marché mais l’expérience a été enrichissante. On apprend toujours de nos initiatives entrepreneuriales.

Dans le domaine de la formation, j’ai fondé la Freight Academy qui a été la première institution à proposer la formation “Logistique et Cargo”. Cela a permis de renforcer des capacités dans ce secteur à Maurice, mais également dans de nombreux pays comme Madagascar, la Réunion, le Zimbabwe, la République Démocratique du Congo entre autres. Plus de 2500 professionnels ont été formés par la Freight Academy. Le don de connaissances me procure une grande satisfaction.

Maurice se retrouve en tête de liste en termes d’Ease of Doing Business. Or les entrepreneurs locaux ne cessent de se plaindre des lourdeurs administratives.

En ce qui concerne l’entrepreneuriat, notre pays s’est embourbé dans trop de tracasseries administratives. Un entrepreneur qui recherche un prêt de Rs 100 000 auprès de la Banque de Développement doit au préalable passer quasiment une journée dans une succursale avant de pouvoir espérer bénéficier des fonds. Or perdre une journée ou de longues heures, a un coût. Auparavant, toute personne motivée pouvait facilement ouvrir un compte en banque et démarrer ses activités, gagnant de l’expérience au fur des années. Or de nos jours, la Mauritius Revenue Authority et les autres autorités en demandent beaucoup aux entrepreneurs au lieu d’être des facilitateurs.

Les démarches bancaires, au nom de l’AML/ CFT, sont devenues extrêmement compliquées. Pas moins de 26 documents doivent être présentés et une étude de faisabilité sur trois ans doit être réalisée pour créer un compte en banque professionnel. Or de nombreux entrepreneurs ne sont pas des académiciens ni des comptables. Pour satisfaire la demande des banques et des multiples institutions de contrôle financiers, les entrepreneurs doivent aller jusqu’à payer un comptable pour faire des projections illusoires avant même d’avoir démarré l’entreprise et obtenu leurs premières recettes.

C’est un système limité et anti productif qui atteint vite ses limites dès qu’un projet novateur est proposé et qui n’entre plus dans les cases bien alignées des fiches de la banque ou des institutions. L’innovation, au lieu d’être portée, devient un handicap pour celui qui veut défendre un projet atypique, mais viable.

Paradoxalement, si l’entrepreneur vient déposer des recettes accumulées sur une semaine, cet argent provenant du dur labeur peut être refusé par la banque. D’un côté l’État s’est organisé pour prélever l’argent des entreprises, d’autres part, déposer des sommes d’argent sur le compte de l’entreprise est devenu un véritable parcours du combattant. De même, il serait temps que des processus gagnent en transparence, que les institutions ouvrent les yeux sur les pratiques de passe-droits, de discrimination sur fond communal et de lenteurs excessives pour l’obtention de permis.

Dès les années 90, vous avez été un centre de l’informatisation dans le domaine douanier. Qu’est ce qui explique, là aussi, que vous ayez pris votre bâton de pèlerin malgré les réticences ?

Deux facteurs ont contribués à développer mon approche sur le monde des affaires. Mon sens de l’analyse vient tout d’abord d’une solide base scientifique. Je me destinai auparavant à une carrière d’ingénieur ou de médecine et j’ai cultivé une réelle passion pour la Physique et les Mathématiques. Dès le départ je lisais beaucoup de magazines spécialisés sur le commerce international, comme Financial Times ou Newsweek.

Et j’ai pu percevoir dans l’informatisation, notamment la dématérialisation, le “paperless”, de formidables opportunités d’efficience et de gain de temps.

Mais bien sûr, cela n’a pas été facile. L’informatisation nécessitait un investissement conséquent, apprendre à utiliser de nouvelles machines et aussi de se former aux applications informatiques. Le premier ordinateur dont je me souviens est un Pentium II qui coutait Rs 40 000 ce qui était une grosse somme à l’époque. Par ailleurs, quand on a vu débarquer une imprimante pour la première fois, on ne savait pas s’en servir car c’était du jamais vu sous cette forme. Pour ceux qui avaient l’habitude des documents en papiers et des dossiers, cela représentait aussi un bouleversement sur le contrôle qu’ils opéraient sur les autres. L’informatisation a même été une source de grand stress voire un facteur ayant poussé certains à prendre une retraite anticipée.

Dans le contexte de la Covid 19, le travail à distance s’est généralisé et la douane fonctionne en toute sécurité grâce aux solutions informatiques, notamment le paiement électronique.

À Maurice, le modèle des entreprises est celui du family business. Ceux qui étaient réticents par rapport aux systèmes informatisés ont cédé leur place à leurs enfants et ces derniers acceptent mieux le Business Process Outsourcing.

À l’époque des patrons d’entreprises préféraient venir me déposer leurs papiers et chèques plutôt que d’utiliser les moyens technologiques. Pour eux, le contact était essentiel malgré le temps perdu. L’un d’entre eux me reprocha même : “Afzal, tu ne veux pas me voir ou tu veux faire l’économie d’un verre d’eau ?” Mais leurs successeurs ont été les premiers à demander pourquoi on n’utilisait pas des solutions de transmission par mails et des modalités de paiement en ligne. Et j’ai du expliquer qu’on fonctionnait d’après le choix de leurs parents.

Aujourd’hui le secteur des douanes dispose d’accès à des réseaux sophistiqués comme le MACSS, le NAVIS, l’e-freight. Et les informations en temps réel du port et de l’aéroport permettent de mieux coordonner les opérations logistiques. De plus c’est crucial de pouvoir gérer les parcs à conteneurs et avoir une rotation optimale du dédouanement pour ne pas engorger le port. Et bien évidemment, c’est même salutaire en cette période de pandémie car l’informatisation complète des transactions de douanes permet un traitement rapide des demandes tout en préservant la sécurité des employés.

Toutefois, la bureaucratie subsiste toujours, notamment dans les institutions gouvernementales qui ne sont pas passées à l’e-service. Ce n’est pas rare que des autorisations soient délivrées au compte-goutte et que les entreprises doivent soumettre des demandes à plusieurs reprises. Un changement de mentalité et d’approche technique est nécessaire pour contrer ces lenteurs administratives qui sont un véritable terreau pour la corruption et les passe-droits. La COVID 19 a fortement accéléré la modernisation des institutions et amènera très probablement des changements en termes de processus.

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