Qu’on le veuille ou non, nous sommes obligés de compter les uns sur les autres et chaque personne a un rôle vital à jouer pour que la navigation se déroule en toute sécurité. D’ailleurs l’expression : “On est dans le même bateau” résonne très fortement en moi car elle capture vraiment cette interdépendance qui règne sur un navire. A terre, s’il y a une panne, ce n’est pas excessivement grave. Mais sur un navire, on n’a pas le choix. Même s’il faut bricoler et inventer, on le fait. Donc en plus d’être résilient, on apprend à rester créatif et inventif. On fait appel à toutes nos connaissances, et à tous les matériaux à bord, pour réparer, colmater et redémarrer.

Face à la Covid 19, est-ce le même état d’esprit à adopter : trouver des solutions et saisir des opportunités inédites peuvent nous inspirer ?

Nous vivons dans une époque marquée par la pression financière auxquelles, même les institutions sont soumises. Les secteurs traditionnels sont saturés et peinent à croître en comparaison à certains pays africains comme le Rwanda. Mais Maurice a un atout majeur : l’économie bleue.

Or, en temps de crise, il faut penser globalement et reprendre son manteau de service public. Saisir des opportunités peut également assurer la notoriété mondiale du port de Maurice. Les discours ministériels évoquent le potentiel des 30,000 bateaux qui passent au large des côtes mauriciennes mais ils omettent de constater qu’en réalité moins de 3000 s’arrêtent à Port-Louis. Donc comment attirer ces bateaux ?

Par exemple, pendant le premier confinement, les Philippines ont su saisir l’opportunité de laisser les bateaux venir jeter l’ancre. Nous aurions pu avoir la même stratégie et proposer que les bateaux viennent stationner sans payer. Mais le port aurait considéré cela comme un manque à gagner. Or une stratégie aurait pu être élaborée en faisant appel à des spécialistes du domaine afin de faire vivre les compagnies locales et s’assurer des recettes, y compris en devises pour le pays. Je pense au bunkering, aux fournisseurs d’eau potable, de nourriture et de diverses fournitures qui auraient pu desservir ces bateaux.

Un autre exemple concerne le changement d’équipage qui devient un casse-tête dans certains pays. Et cela coûte très cher aux compagnies maritimes. Idéalement, le changement d’équipage pour les officiers se fait tous les quatre mois et, auparavant, le changement se faisait en un jour, avec le nouvel équipage s’envolant vers Maurice où il pouvait rejoindre le navire prédéterminé.

Or, actuellement, pour que le changement d’équipage puisse avoir lieu, la nouvelle équipe qui remplacera l’ancienne doit d’abord se mettre en quarantaine pendant 14 jours dans un hôtel à Maurice. Le prix varie entre Rs50,000 et Rs70,000 et souvent les hôtels moins chers sont déjà réservés par les Mauriciens. De ce fait, les 14 jours de quarantaine ajoutés aux déplacements de l’équipage font perdre près d’un mois de salaire payé par les compagnies maritimes.

Nos voies aériennes étant ouvertes à certains pays comme Dubaï, on aurait pu trouver une alternative aux quarantaines obligatoires pour le nouvel équipage. Par exemple Singapour a mis en place un “corridor“ où l’équipage qui vient des voies aériennes est immédiatement envoyé sur le navire, au lieu de les mettre en quarantaine dans les hôtels. Dès qu’ils embarquent, le navire s’éloigne immédiatement du port. Ainsi, il n’y a aucun contact avec les locaux ni aucune interaction entre les équipages. Alors, le protocole est suivi et c’est moins risquant.

Si, à Maurice, nous appliquons et commercialisons ce même programme aux compagnies maritimes, les navires modifieront leurs itinéraires pour changer leur équipage. Et en contrepartie, ils vont faire le “bunkering”, l’approvisionnement, le husbandry, l’avitaillement (Ship chandling), ainsi de suite.

Alors tout cela représentera un plus pour Maurice car cela rapporte des devises. Sans oublier, que nous pouvons aussi cibler les nouveaux bateaux appelés “casual callers“ qui ne sont peut-être jamais passés par Maurice à travers ce même programme. Ainsi, ils prendront connaissance des services et des facilités offerts par Maurice à un prix abordable, et à ce titre ils pourraient choisir de s’y arrêter régulièrement.

Avitaillement et soutage, ou “ship chandling” et “bunkering” sont des termes opaques pour ceux qui ne connaissent pas l’univers maritime.

Le “ship chandling“ a pour rôle de fournir aux bateaux toutes sortes de provisions comme les œufs, les légumes frais, la viande, le beurre, tout comme vous avez à la maison. Les compagnies maritimes n’ont qu’à passer commande auprès d’un “shipchandler”, qui préparera et emballera tout, suivi de la livraison. Le plus grand shipchandler à Maurice est Ken Lee (Shipchandler).

Le “bunkering” est la fourniture de carburant pour les navires, et ce n’est pas la même chose que nous utilisons à terre. Pour les navires nous utilisons du carburant à très faible teneur en soufre (Very Low Sulphur Fuel Oil – VFO) ou le Heavy Fuel Oil (HFO) ou le marine gasoil (MGO). Ici, il y a des fournisseurs agréés comme Shell, Engen qui vient de l’Afrique du Sud et Indian Oil qui peuvent fournir le carburant. Ils importent, font le stockage, et revendent à tous les bateaux qui en ont besoin pendant leurs voyages, à un prix concurrentiel.

Le système de “bunkering” a-t-il été touché pendant le lock down ?

Non, c’est un système bien planifié qui ne change pas. Pendant la Covid on a eu un ralentissement dans l’économie mauricienne, mais les bateaux fonctionnaient toujours par rapport aux avions.

Et, je tiens à rendre un vibrant hommage à tous les marins qui ont continué à travailler pendant le confinement. Ce sont de courageux front liners qui ont fait beaucoup de sacrifices. Certains sont restés à bord des navires pendant plus d’un an, qui n’ont pas pu atteindre un port pour le changement d’équipage, même si leurs contrats étaient terminés. À Maurice, lorsque les bateaux ont atteint le port pendant le confinement, les personnes sont restées confinées à bord. On a dû transporter des produits alimentaires sur le navire directement.

Dans le passé, les îles ont servi de centre de quarantaine. Réinstaller des infrastructures sanitaires sur les ilots, serait-ce envisageable pour protéger l’ile contre de futures alertes ?

Effectivement, l’histoire de Maurice compte l’une des maladies les plus meurtrières auxquelles les marins ont été confrontés, appelée le scorbut. Le scorbut prenait la forme de plaques sur la peau. Prise pour une maladie, il s’agissait en fait d’une carence en vitamine C causée par l’absence de fruits et de légumes frais à bord des navires. C’est d’ailleurs pour aider les marins à se rétablir, qu’une plantation de pamplemousses a été démarrée dans une région de l’ile qui porte toujours ce nom ! À l’époque, les marins passaient des mois en mer sans contact avec les ports contrairement à aujourd’hui, ce qui explique pourquoi il y eut cette carence en vitamine C.

Pour en revenir à la question d’établir des centres d’accueil hors de Maurice, cela n’a pas encore été évoqué. Mais l’expérience nous a apprise que c’est en descendant à terre que des marins ont été contaminés par la Covid 19. Donc, le navire peut devenir une bulle de protection Covid safe.

Maintenant que les voyages d’agrément ou d’affaires sont limités dans la plupart des pays, que peut-on faire avec les navires qui ne sont pas opérationnels ?

À mon avis, les navires de croisière qui ne sont pas opérationnels en raison de la Covid peuvent être convertis en quarantaine flottante et comme ils seront isolés, ce serait plus facile de les contrôler. De plus, si une personne à bord est testée positive à la Covid, il n’y a aucun moyen qu’elle transmette le virus au public vivant à terre. Le “contact tracing“ aura lieu à bord du navire lui-même et non dans le pays.

L’effet de propagation du virus est plus répandu sur terre qu’à bord d’un navire. Le bateau Trochetia par exemple qui est composé d’environ 40 cabines et peut accueillir jusqu’à 100 passagers, peut facilement être converti en une quarantaine flottante.

À terre comme en mer, au lieu de subir les effets délétères de la paralysie économique infligée par la pandémie, nous avons le devoir de réunir des experts et de trouver des nouvelles pistes pour rebondir en s’aidant les uns les autres. Nous sommes, après tout, tous «dans le même bateau»!

Pour retenir nos Capitaines, marine engineers et autres professionnels de la marine qualifiés, nous devons concrétiser cette vision d’une nation maritime.

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