Captain Mahendra Babooa | Marine Superintendent & DPA, MSC

Ce n’est pas l’homme qui choisit la mer, mais la mer qui choisit l’homme.

C’est à Vieux Grand Port que le Captain Mahendra Babooa a passé son enfance, une baie qui résonne toujours des clameurs de la bataille navale de 1810, qui opposa la flotte française et la flotte britannique. Après avoir vogué aux quatre coins du monde, Captain Babooa observe le port de son bureau à la Capitainerie. Patriote, il est intimement convaincu des opportunités dont le port peut saisir malgré la pandémie, cela à condition d’agir vite et d’avoir un plan pour les générations futures.

Capitaine Babooa comment est né en vous la passion pour la navigation ?

Je me souviens encore qu’enfant, je taquinais mes cousins en leur disant “La mer, je n’ai pas besoin de grimper sur le toit de la maison pour l’apercevoir.” Donc, je pense que l’amour de la mer m’est arrivé naturellement en habitant à Grand Port, une petite ville historiquement liée aux premières installations néerlandaises à Maurice. Très tôt j’ai grimpé à bord d’un bateau et je me rappelle toujours de mon émerveillement devant la capacité de ces grands navires pesant si lourd mais qui pouvaient néanmoins flotter. Au fil des années, ma détermination à faire carrière dans le domaine maritime s’est renforcée. Et c’est en Australie, à la Sydney Institute of Technology que j’ai obtenu le diplôme de Master Mariner Class 1. Par la suite, j’ai navigué pour le compte de sociétés mauriciennes et étrangères, pour de longues années.

Ce choix de carrière est atypique même si les Mauriciens vivent sur une île. Comment expliquez-vous cela ?

Effectivement, nous vivons entourés de l’Océan Indien mais notre pays souffre d’une grande méconnaissance de notre richesse maritime. Dès les premières années d’éducation, les enfants mauriciens devraient commencer à développer une réelle connaissance dans ce domaine. C’est en nourrissant cet amour pour l’océan Indien que nous pourrons devenir ce que j’appelle “a shipping nation”. En développant ce savoir, on sème les graines pour que les enfants du sol deviennent des futurs marins, scientifiques, chercheurs, conservateurs, experts en droit de la mer, et ainsi de suite.

Ce qui est intéressant pour l’ile c’est que nous avons dorénavant des centaines de Mauriciens qui ont travaillé a bord des bateaux croisières et qui ont acquis le goût de la navigation. La prochaine génération de navigants mauriciens est sans nul doute en train de grandir au moment où on se parle. Et notre pays devrait pouvoir leur offrir tout le support éducatif nécessaire pour poursuivre un intérêt voire une passion pour les métiers maritimes.

L’éducation suffit-elle à atteindre ce but ?

Par ailleurs, pour retenir nos Capitaines, marine engineers et autres professionnels de la marine qualifiés, nous devons concrétiser cette vision d’une nation maritime. Il faut avoir une « regional shipping line » et faire l’acquisition de bateaux pour l’île Maurice. Pour cela, nous pouvons avoir des mesures incitatives et envisager l’octroi de ‘tax rebates’ aux grandes compagnies qui veulent investir dans le shipping. C’est une véritable stratégie nationale que nous devons développer. Par exemple, dans d’autres pays, les personnes ayant un revenu élevé peuvent bénéficier d’exemption d’impôts s’ils investissent dans des projets que l’État veut promouvoir, même si cela ne relève pas de leur domaine de spécialité professionnelle.

L’effort de l’État peut s’accompagner de conditions, par exemple, l’enregistrement des navires sous pavillon mauricien, avec une gestion faite par un Management Company basé à Maurice. Nous pouvons exempter le paiement d’une taxe d’enregistrement pour rester compétitif face à d’autres juridictions, mais trouver d’autres façons de faire entrer des recettes dans les caisses de l’État ou du port. C’est cela que nous devons développer. Une idée peut être de rassembler les diplômes en Mechanical Engineering de l’Université de Maurice et d’enrichir leur formation pour qu’ils se qualifient comme Marine Surveyors. Par la suite, ce sont ces jeunes mauriciens qui peuvent surveiller tous les bateaux sous pavillon mauricien, à travers le monde. Les frais des Surveyors sont alors pris en charge par le propriétaire du navire.

Une autre idée est d’imposer que toute la documentation à bord provienne des imprimeries de l’État mauricien. Je pense notamment au log book, un document obligatoire qui doit être utilisé chaque jour.

Pour ma part, j’ai toujours maintenu un pied dans la formation et je m’intéresse au devenir des jeunes de ce pays. Je mène un projet en coordination entre les professeurs des université de Maurice et ceux de l’université Frederick de Nicosie de Chypre, pour que les élèves Mauriciens qui ont obtenu leur diplôme d’ingénieur mécanique puissent partir se parfaire et devenir des marine engineers. Cela en sachant qu’un métier très correctement rémunéré les attendra à la sortie.

Le métier de marin est réputé difficile, notamment pour la cellule familiale.

Effectivement, il faut vraiment être passionné et avoir une famille qui vous suit dans cette passion pour vivre pleinement une carrière dans un métier de la mer. C’est vrai que la famille continue à grandir et à traverser des expériences en notre absence physique ; naissance des enfants, anniversaires, réunions de familles, des périodes d’examens et ainsi de suite. Il m’est déjà arrivé de revenir et de constater que la mode vestimentaire avait changé. (rires)

Ce qui peut manquer le plus, c’est la nourriture de chez nous et le sentiment d’être chez soi, dans son pays natal.

Toutefois, les nouvelles technologies permettent aujourd’hui une plus grande connectivité et de préserver ces liens familiaux plus aisément qu’avant. Le confort à bord des navires s’est nettement amélioré également ainsi que tous les services qui pouvaient faire défaut auparavant.

L’apprentissage de ce métier passe par un seatime (temps de service en mer) obligatoire à effectuer.

Le plus grand défi pour devenir un professionnel qualifié de la marine marchande est d’arriver à remplir les exigences en matière de seatime (temps de service en mer). C’est une formation qu’on ne peut pas obtenir à terre. Et d’autre part, la compagnie investit dans quelqu’un qui n’a pas d’expérience préalable et qui doit tout apprendre. Donc, il faut que la compagnie ait confiance et mise sur la personne pour qu’elle puisse accumuler ce précieux seatime. C’est la clé qui permet ensuite d’être accepté à l’université pour prendre part aux examens.

Selon le métier visé, il faut faire son seatime à des postes spécifiques. Pour être Captain, il faut l’avoir fait sur le Deck Department. Pour être Marine Engineer, le temps de service doit être fait dans l’Engine Department. Cela peut aller jusqu’à passer 12 ou 18 mois en mer, pour avoir le seatime et ensuite pouvoir passer les examens. Et le statut n’étant pas défini, la paie n’est pas conséquente. Donc, il faut une réelle détermination et faire des sacrifices pour garder le cap jusqu’à l’obtention du diplôme visé.

Comment vous êtes- vous accroché malgré ces inconvénients ?

Les marins disent toujours : “Ce n’est pas l’homme qui choisit la mer, mais la mer qui choisit l’homme.” Ce métier requiert, de nature, une grande capacité d’adaptation : mentalement, moralement et physiquement. Par exemple, on doit avoir le fameux «pied marin», mais aussi pouvoir encaisser le décalage horaire et les changements brusques de température quand on passe d’un hémisphère à l’autre.

Toutefois, ce métier reste passionnant pour plusieurs raisons. Il n’y a pas de comparaison possible entre ce métier et la vie sédentaire au bureau. La mer, les ports, les cargaisons, les personnes, les paysages, les sons, les odeurs, les températures, la nourriture sont tous différents. Chaque jour en mer est un jour nouveau et il n’y a pas un voyage qui soit identique à l’autre.

Une autre réalité c’est que le commandant mais également l’équipage n’a pas droit à l’erreur en mer. Alors on devient très méthodique, mais en même temps, très soudés à bord.

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