Daven Vythilingum | Débardeur & Syndicaliste

Il n’avait que treize ans lorsqu’il fit ses premiers pas sur les docks du port dans les années soixante. Vingt-sept ans après avoir pris sa retraite Daven Vythilingum, ancien syndicaliste, reste un passionné des affaires portuaires. Son récit nous fait traverser presque un siècle de transformation du port mais aussi quelques grands moments du mouvement syndical au port

Je n’ai pu étudier que jusqu’à la CPE, mais je me suis toujours entouré de personnes brillantes. De cette façon, je n’ai cessé de réfléchir et d’apprendre toute ma vie,” confie Daven Vythilingum, juché sur son fauteuil. Récemment amputé d’une jambe, c’est pourtant avec le sourire que l’habitant de Guibies nous embarque dans un émouvant récit de sa vie de docker et de syndicaliste.

Jeunesse et premiers pas au port

Daven Vythilingum raconte que c’est en 1922 que son père commença à travailler au port. “Ce que je sais du port et du syndicalisme, c’est ce que j’ai vu mais aussi ce que les collègues et amis de mon père m’ont raconté. Il y avait seulement trois docks et trois stevedores à cette époque.” Héritage colonial, au port, certains métiers étaient exclusivement occupés par des communautés distinctes. Évoquant ce passé révolu, Daven Vythilingum raconte : “Avant les années 70, il n’y avait que deux communautés qui travaillaient au port : les tamouls et la population générale, qu’on appelait ‘madras’ et ‘créoles’. C’était cela la réalité du port, chaque communauté transmettait le savoir-faire des métiers du port de père en fils.

L’ancien syndicaliste explique que les tamouls s’occupaient principalement du batelage, attachaient les chalands au port, les nettoyaient et se chargeaient des opérations de livraison des marchandises. “Les créoles, eux portaient les sacs et les embarquaient dans les chalands ou ils les emportaient vers les magasins. Ils avaient le courage de gravir des madriers pouvant faire dix à douze mètres de hauteur, avec les “bal” qui pouvaient peser jusqu’à 200 livres (100 kilos). Heureusement qu’avec la lutte syndicale à travers le monde, les réglementations ont évolué, dans le respect de la dignité des travailleurs. De nos jours, la limite maximale qu’un homme puisse porter est une charge de 100 livres (50 kilos).” Il rajoute qu’au fil du temps, avec la création du Mauritius Marine Authority (maintenant la Mauritius Ports Authority), et de la Cargo Handling Corporation (CHCL), l’emploi au port a grandement évolué pour devenir accessible à tous les Mauriciens.

Daven Vythilingum aurait pu se retrouver dans un autre métier si le sort en avait décidé ainsi. Il se souvient : “À l’école primaire, j’étais un élève doué et mon professeur et le maitre d’école appelèrent mon père pour lui remettre mes résultats de la CPE. Ils l’encouragèrent à m’inscrire au collège. Toutefois, l’école était payante et, débourser Rs 5 tous les mois, cela représentait une grande somme pour une famille à l’époque.” Deux semaines après cette rencontre, il se souvient qu’il était au bord de la route lorsqu’une voiture s’arrêta à sa hauteur. C’était son professeur. Étonné de le voir sur la rue, ce dernier demanda au jeune Daven dans quel collège il était inscrit. “Je me souviens jusqu’à présent de sa déception en apprenant que je n’étais plus scolarisé. Nous étions une fratrie de cinq frères et une sœur. Même si les frères n’ont pu poursuivre des études, lorsque j’ai commencé à travailler, je me suis assuré que notre petite sœur s’instruise. Et c’est une fierté qu’elle soit devenue institutrice par la suite.” C’est ainsi que le temps des études s’arrêta pour Daven Vythilingum qui se mit à faire des petits boulots.

Peu de temps après, le malheur s’abat sur la famille et le père du jeune Daven décède. Il se souvient : “Après le cyclone Carole qui dévasta beaucoup d’habitations, nous vivions au ‘Camp’, à Tranquebar. Par la suite le gouvernement construisit des logements qui devinrent Cité La Cure et Cité Vallejee. Au ‘Camp’, nous habitions tout au fond de l’allée et devant chez nous il y avait un gros robinet d’eau. Il servait à desservir une cinquantaine de familles.” Daven Vythilingum poursuit : “Au décès de mon père, comme mon grand frère avait des soucis de santé, la responsabilité de nourrir la famille est très tôt tombée sur mes épaules. Un collègue de mon père qui habitait dans le camp conseilla ma mère : “Ena zom dan lakaz. Ale deman missier la fer li gagn en ti travay” (“Vous avez un fils qui peut travailler. Allez voir le patron du port pour demander un emploi.”)

Daven Vythilingum se plonge dans ses pensées et reprend avec beaucoup d’émotion contenue : “L’idée de me faire embaucher au port fit son chemin. Mais, vous savez, à cette époque, il n’y avait que mon père qui savait comment se rendre au port. Ma mère ne savait même pas où se trouvaient les Cerne Docks.” Il raconte qu’en ces temps les ‘débardeurs’ du port étaient des journaliers, payés Rs 5 en fin de journée. En rentrant, ils passaient par le marché de Port-Louis et achetaient du poisson et des légumes que leurs femmes attendaient pour cuisiner le repas du soir. “Ils achetaient toujours du beau poisson, si grand et long qu’il touchait jusqu’à terre,” dit Daven Vythilingum en riant.

Au “Camp”, on indiqua à sa mère comment il fallait, de Tranquebar, rejoindre le Champ-de-Mars, puis descendre la grande route tout droit jusqu’au port. Celle-ci dut prendre son courage à deux mains et emmena son fils au port, un trajet qui devait façonner le restant de la vie de Daven Vythilingum. “Je me souviens qu’on a fini par arriver près de la poste où le patron, Percy Taylor, avait son bureau à l’étage d’un bâtiment. Nous étions arrivés tôt. Nous ne savions même pas que nous pouvions trouver du thé au bazar de Port-Louis en attendant. Alors nous restâmes là à attendre car le patron n’arrivait que vers neuf heures et demi du matin.

Le jeune Daven et sa mère restèrent patiemment à l’ombre des arbres de ‘baba calebasses’ qu’il y avait dans la cour. Enfin une voiture arriva et se gara. Le jardinier leur signala que le patron était arrivé. La mère de Daven se rapprocha des marches pour lui parler. Daven Vythilingum raconte : “Ma mère posa ses deux mains sur le cœur et expliqua à Percy Taylor que son mari venait de décéder et qu’elle avait bien besoin que je puisse travailler pour pouvoir nourrir la famille. Le patron me demanda : “Quel âge as-tu ?” Et je répondis bravement : “18 ans”. Percy Taylor me regarda et dit : “Non, tu n’as pas 18 ans, tu es encore faible mais viens demain et tu diras au Foreman de te trouver de quoi faire.” C’est ainsi que le jeune adolescent démarra sa carrière qui durera 37 ans au port de Port-Louis. Daven Vythilingum commença en faisant des petites tâches, apprit à faire les nœuds de marins avec ceux qui avaient de l’expérience et au fil des années fit divers métiers jusqu’à devenir opérateur de grue a bord des bateaux.

1 2

Comments are closed.

Newsletter

Subscribe Now! We’ll make sure you never miss a thing

This will close in 10 seconds